Corps de femmes

Collection Corps de Femmes

Pourquoi la photographie, les corps, les femmes ? Je ne sais quoi répondre tout comme je n’ai de réponse à « pourquoi moi, pourquoi tu m’aimes ? » Pourquoi pas ? Avons-nous tous vraiment oublié notre instinct ou en avons nous peur au point de mener une vie affective stratégique sans risque, sans surprise où le sentiment devient une excuse, une tricherie pour ne plus être seul. Sais tu sincèrement le goût que tu as, sais tu vraiment sentir l’odeur de l’autre, sais tu vraiment voir, entendre et toucher ou fais tu semblant d’y croire afin que toi aussi tu jouisses de la vie ?

«Parmi toutes les variétés de l’intelligence découvertes jusqu’à présent, l’instinct est de toute la plus intelligente.» Nietzsche, Par delà le bien et le mal. Dans Lilith, Alina Reyes cite ce passage de Nietzche en ouverture. Dans Sept nuits, elle donne la chance à ses personnages d’exulter leur désir par le biais de jeux sexuels où la frustration, l’attente, la curiosité, le fantasme, permettent de réapprendre à connaître l’autre donc soi-même instinctivement. Si un texte doit être écrit pour introduire cette collection, alors ce sera l’introduction de Corps de femme.

Merci, chère Alina, d’avoir choisi «le parti du vivant» et de l’écrire ; il donne écho à mon expression qui se sent désormais moins seul.

  • Aimer les corps – aimer la vie.

Et pas seulement les corps humains. L’araignée aussi me plaît, et je lui parle, comme à une sœur. La pierre elle-même n’est-elle pas faite de la même matière que moi ? Ce que devine l’inconscient, la science l’a démontré : nous sommes tous des poussières d’étoiles. Nous avons tous, êtres vivants, une origine commune. Plus proche encore, nous sommes vraisemblablement tous, êtres humains, consanguins, issus d’un seul et même peuple.

Comme l’écrit André Langaney, généticien et responsable du laboratoire d’anthropologie du musée de l’Homme, nous sommes « tous parents, tous différents. » Tous différents et tous mortels, telle est la caractéristique induite par la « reproduction » sexuée, par opposition à la véritable reproduction, qui se fait toujours à l’identique (cas des bactéries, par exemple), par dédoublement, et n’implique ni la mort ni la « personnalité » de l’élément originel.

Aujourd’hui la possibilité de manipuler les génomes, voire de les cloner, ne pourrait-elle pas menacer la diversité fondamentale de notre espèce, voire sa survie ? Mais peut-être faut-il craindre tout autant les assauts de certains puritains en vogue, qui sous le masque de la désillusion cachent mal leur dégoût de l’amour de la vie, et, étendant leur sentiment personnel à l’humanité toute entière jugent leur contemporain englués dans ce qu’il est convenu d’appeler la misère sexuelle – et par conséquent seraient tout prêts à renoncer à ce fameux mode de reproduction sexuée qui les encombre tant.

Mais qu’est ce que la misère sexuelle, sinon un point de vue moralisant, et puritain, sur le corps et la sexualité des autres ? Qui oserait nier qu’une emme aujourd’hui a bien davantage de chances, d’occasions, de possibilités de jouir de son corps (et pas seulement sur un plan sexuel) qu’il ne lui en eût été accordé il y a cinquante ou cent ans. Que ce début de libération du corps des femmes embarrasse certains hommes est aussi une réalité. Mais il est permis de ne pas voir dans la virginité des jeunes mariées et dans les joies des bordels d’antan l’exacte antithèse de la prétendue misère sexuelle de notre époque.

Sans doute sommes-nous depuis l’aube des temps, humains, tentés de nier notre animalité – dont les besoins du corps sont les manifestations éclatantes, et pour beaucoup, insupportables. Mais on peut aussi chercher l’émotion et l’esprit là où ils sont nés, dans la matière. Choisissant l’aventure, la différence, la fantaisie, l’imprévu, j’ai pris le parti du vivant.

 Alina Reyes.

In Corps de femme, introduction, Alina Reyes, édition Zulma.